Quelques extraits du Manifeste des auteurs jeunesse quebecois :
Les relations avec les éditeurs
"L’éditeur idéal sait lire. Il aime lire. Il apprécie les écrivains.
Il encourage l’écrivain à donner le meilleur de lui-même.
Il préfère la qualité à la quantité. Il ne se désintéresse pas du livre sitôt imprimé"
Marie-Francine Hébert
Au cours de la carrière professionnelle en littérature, il arrive que la relation entre écrivains et éditeurs ne soit pas toujours idyllique. Voici des bémols vécus par un certain nombre d’auteurs. Heureusement, les situations décrites dans ce chapitre ne sont pas l’apanage de tout un chacun. Mais elles surviennent bel et bien.
On déplore entre autres le fait que les délais d’attente entre la soumission d’un manuscrit, son acceptation et sa publication soient beaucoup trop longs. On parle généralement de plusieurs mois, voire d’années.
À la décharge des éditeurs, il faut savoir que les deux tiers des maisons d’éditions au Québec ne comptent que de deux à quatre employés. C’est bien peu compte tenu du travail à effectuer et de la pile de manuscrits à évaluer (une moyenne non vérifiée de 200 à 250 par an pour chaque éditeur).
La direction littéraire joue un rôle essentiel dans la publication d’un manuscrit. Elle se donne pour objectif d’amener un texte à un niveau supérieur. Elle aiguille et conseille sans toutefois faire le travail à la place de l’écrivain. Cela exige une bonne dose de tact, de respect et de confiance.
Les écrivains rencontrent rarement les directeurs littéraires, hormis lors des salons du livre, et procèdent dans la grande majorité des cas aux corrections par l’intermédiaire de courriels, de télécopies ou de conversations téléphoniques. Aux yeux de certains, surtout si l’éditeur a pignon sur rue dans une autre région du Québec, cela peut paraître impersonnel. Les corrections d’épreuves doivent très souvent se faire à la toute dernière minute, « pour hier ». Des appels ou courriels d’écrivains ne seraient pas toujours retournés.
Quelques éditeurs ne les informeraient pas systématiquement du fait qu’ils peuvent s’inscrire à la Commission du Droit de Prêt Public (CDPP), ou à d’autres programmes. Ou encore qu’ils peuvent demander le remboursement des frais encourus pour leur participation à des salons du livre.
Des maisons d’édition passeraient également sous silence le nom d’associations d’écrivains auxquelles leurs auteurs peuvent adhérer. De plus, ils ne donneraient pas toujours, même sur demande, des références ou des informations d’ordre fiscal pour la production des déclarations de revenus.
Un autre point litigieux dans la relation écrivain-éditeur réside dans l’illustration de l’ouvrage. En littérature pour la jeunesse, illustrer un récit, c’est mettre en images et en couleurs les aventures et les personnages créés par les écrivains; cela consiste à les rendre vivants.
Bien que certaines clauses de contrat stipulent que l’éditeur s’engage à consulter l’écrivain pour ce qui est de la ou des illustrations de son œuvre, et même si l’écrivain est amené à donner son opinion, celui-ci n’a que très rarement le dernier mot. En fait, « son degré d’intervention varie grandement, selon l’approche des maisons, selon la personnalité des gens impliqués et selon le projet ».
L’illustration de la page couverture est le premier contact visuel et émotionnel qu’un lecteur potentiel a avec une œuvre. Qui de mieux placé, donc, que l’écrivain pour juger le travail d’un autre artiste quant à l’interprétation imagée de son récit, pour en souligner les faiblesses ou en saluer la justesse ? Dans le cas des albums et des mini-romans, la donne change. L’avis de l’auteur semble davantage pris en considération. Mais de façon générale, on prétend que l’écrivain ne possède pas le recul suffisant par rapport à son texte pour faire des commentaires objectifs sur les illustrations. Pour bien des auteurs de romans, ils ne verront l’illustration de la page couverture que lorsque l’esquisse aura été acceptée par l’éditeur, ou pire, une fois l’ouvrage imprimé.
De même, il est regrettable de constater que dans certains cas, dès qu’un manuscrit est accepté pour fins de publication et que les dernières épreuves ont été corrigées, le partenariat écrivain-éditeur semble partir en fumée.
Par exemple, il n’est pas normal qu’un écrivain tapant son nom dans un moteur de recherche sur Internet apprenne de lui-même qu’une de ses œuvres a été traduite en anglais, l’éditeur n’ayant pas eu l’obligeance de lui annoncer la bonne nouvelle. Dans les faits, c’est souvent grâce à cette technologie qu’un écrivain réussira à se tenir un tant soit peu au courant du cheminement de chacune de ses œuvres littéraires (présence en librairies et en bibliothèques, critiques et recensions, suggestions de lecture, etc.).
Hormis le fait que le contrat stipule noir sur blanc que les éditeurs s’engagent à publier les œuvres, à les diffuser et à les faire connaître, il arrive que quelques-uns d’entre eux s’acquittent moins bien de leurs obligations et qu’ils considèrent les auteurs comme des machines distributrices de manuscrits et des vendeurs de livres. Devant une telle situation, l’écrivain doit alors s’occuper lui-même du « succès » de ses ouvrages et contacter journaux, radio et même télévision pour qu’on parle de lui et de ce qu’il fait. Comme tous les auteurs ne sont pas à l’aise avec les médias, beaucoup ne font aucune démarche.
Le contrat d’édition que signe un écrivain renferme des clauses particulières qui ne conviennent pas toujours aux auteurs et qui avantagent surtout l’éditeur.
Pourquoi alors l’écrivain les accepte-il ? Il le fait par crainte de déplaire, de ne plus publier ou d’acquérir une mauvaise réputation dans un milieu où les éditeurs ont la main haute, surtout quand ils travaillent avec des auteurs de la relève.
Car il ne faut pas se leurrer : un écrivain n’existe pas s’il ne publie pas. Pourtant, les écrivains ne devraient pas hésiter à refuser les clauses qu’ils jugent préjudiciables. Un bon éditeur accepte habituellement la chose.
N’étant donc pas toujours au fait de ses droits, l’écrivain (surtout en début de carrière) accorde un droit de préférence quant à ses ouvrages futurs. Il accepte de soumettre à son éditeur un, deux ou trois nouveaux ouvrages de même nature tandis que ce dernier s’engage à lui faire connaître sa décision de publier ou non les manuscrits dans un délai raisonnable également fixé aux termes du contrat. Si l’éditeur refuse de publier les œuvres soumises, l’écrivain récupère son droit de soumettre les manuscrits à d’autres maisons d’édition.
Le droit de préférence peut également prendre la forme d’une cession échelonnée sur une ou plusieurs années. Par exemple, l’écrivain s’engage à soumettre à l’éditeur toutes les œuvres qu’il produira au cours des deux, trois ou même cinq prochaines années. Si la relation qu’il entretient avec son éditeur est exemplaire, ce genre de clause peut ne jamais soulever de problèmes pour l’écrivain. Dans le cas contraire, elle risque de brimer ses droits, voire d’endiguer les flots de sa créativité.
D’autres clauses montrent bien à quel point le contrat avantage plutôt l’éditeur. Ainsi, il arrive que les écrivains accordent des licences d’édition pour une durée de 5 ou 10 ans, parfois à vie. Le territoire visé par cette licence peut être aussi restreint que le Québec ou aussi vaste que le monde entier.
De la même façon, des éditeurs s’arrogent le droit exclusif de négocier seuls (en tenant compte des intérêts de l’auteur, bien entendu) d’éventuelles adaptations de l’œuvre (cinématographique, traduction, etc.).
Peu de maisons d’édition offrent aux écrivains la possibilité de faire un lancement de leurs œuvres en littérature pour la jeunesse. Pour un nouvel écrivain, cela constitue une douche froide. Cette façon de faire, pour le moins répandue dans le milieu, oblige les écrivains à prendre des initiatives personnelles pour lesquelles ils encourent des frais non remboursés par l’éditeur. Il faut toutefois savoir que la plupart des éditeurs n’ont pas les reins assez solides pour faire un lancement pour chacun des titres qu’ils publient par année. S’ils le faisaient, la facture serait salée. Aussi, plusieurs proposent plutôt un lancement collectif annuel où les auteurs et les illustrateurs sont invités, en compagnie de leurs proches, à festoyer.
Les copies d’auteur constituent la seule compensation symbolique que l’écrivain reçoit pour le développement de son œuvre. De façon générale, le contrat-type stipule que l’écrivain a le droit de recevoir gratuitement 1 % du tirage de son œuvre, ce qui représente habituellement entre quinze et vingt copies. À noter toutefois que l’écrivain ne perçoit aucun droit d’auteur sur ces copies, ni non plus sur celles remises gracieusement en service de presse ou pour l’inscription à des concours littéraires.
Même s’il existe des projets de contrat-type d’édition – comme celui élaboré par l’Union des écrivains québécois (UNEQ) – et dont le but est de tenir compte de façon juste et équitable des intérêts des deux parties en cause, force est de constater qu’aucun mécanisme, gouvernemental ou autre, n’oblige présentement les maisons d’édition à adopter et à utiliser un tel contrat. L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) s’oppose d’ailleurs au projet réalisé par l’UNEQ. On suggère plutôt l’adoption de clauses minimales communes.
Ces bémols et bien d’autres – comme les trop nombreuses histoires de pilonnage sans préavis – ont pour effet d’engendrer l’angoisse chez les créateurs, mais aussi la mauvaise estime de soi et de ce qu’ils produisent. On peut se demander pour quelles raisons de telles situations ont existé ou continuent d’exister. Comme si certains éditeurs, en publiant les œuvres d’un écrivain, lui faisaient une grosse faveur. Et pourquoi ne serait-ce pas l’auteur qui ferait une faveur à l’éditeur, celle, entre autres, de lui confier ses idées et son talent pour nourrir son entreprise ?
Tous les écrivains n’ont pas nécessairement vécu l’ensemble des situations décrites dans ce chapitre et que les éditeurs n’adoptent pas tous des attitudes telles que dépeintes ici.
Pour télécharger le manifeste intégral :
http://www.dramaction.qc.ca/aeqj/pdf/ManifesteAEQJ.pdf